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Sous-traitance: La nullité pour défaut de cautionnement peut être... annulée

11 April 2024

La troisième chambre civile de la Cour de cassation fait évoluer sa position et tempère la protection apportée par l’article 14 de la loi de 1975.

En 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation paraissait avoir ouvert la voie concernant la possibilité de régulariser la nullité d’ordre public de l’article 14 de la loi du 31 dé-cembre 1975 relative à la sous-traitance, qui vient sanctionner le défaut de fourniture d’une caution par l’entrepreneur principal à son sous-traitant (Cass. com., 9 septembre 2020, n° 18-19250 [1]). Il était néanmoins apparu, devant la cour d’appel de renvoi (CA Nîmes, 16 juin 2021, n° 20/02644), que la renonciation du sous-traitant à cette mesure de protection était difficile à admettre pour le juge (2).

Dans une autre affaire, par un arrêt rendu le 23 novembre dernier, la 3e chambre civile de la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence antérieure fermement établie : elle a jugé que le défaut de caution est sanctionné par une nullité relative, qui est donc susceptible de confirmation par le sous-traitant (Cass. 3e civ., 23 novembre 2023, n° 22-21463, publié au Bulletin). La cour d’appel de Paris, approuvée par le juge de cassation, a considéré que l’acte nul avait été confirmé par le sous-traitant, ce qui conduit à s’interroger sur l’effectivité de la règle. Les dispositions de l’article 14 semblent pourtant d’ordre public, l’article 15 de la loi de 1975 prévoyant que « sont nuls et de nul effet, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi ».

Le caractère relatif de la nullité de l’article 14 de la loi de 1975 concernant la caution

Pour mémoire, l’article 14 de la loi de 1975 prévoit que les paiements de toutes les sommes dues par l’entrepreneur au sous-traitant doivent être garantis par une caution personnelle et solidaire, et ce « à peine de nullité du sous-traité ».

Dans le litige qui a donné lieu à l’arrêt du 23 novembre 2023, la société B., qui avait été chargée de travaux de construction, a sous-traité en mars 2017 à la société U. des travaux de fourniture et pose de marbre. Elle ne lui a pas fourni de caution au moment de la formation du contrat. La société U. s’est plainte du non-paiement de surcoûts et de travaux supplémentaires, et a saisi le tribunal, poursuivant la nullité du contrat de sous-traitance et sollicitant une indemnisation, après exécution des prestations.

Mi-2022, la cour d’appel de Paris a jugé que le contrat de sous-traitance était valable et rejeté l’ensemble des demandes de la société U. (CA Paris, 29 juin 2022, n° 754 FS-B). Cette dernière a formé à l’encontre de cet arrêt un pourvoi, à l’appui duquel elle a invoqué un unique moyen de cassation, tiré de la nullité du contrat de sous-traitance.

Dans son arrêt du 23 novembre 2023, la 3e chambre civile de la Cour de cassation juge d’une part que la méconnaissance de l’article 14 est sanctionnée d’une nullité relative, et d’autre part que le contrat de sous-traitance est susceptible de confirmation : « La violation des formalités de [l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975], lesquelles ont pour finalité la protection des intérêts du sous-traitant, étant sanctionnée par une nullité relative, le sous-traité est susceptible de confirmation en application de l’article 1182 du Code civil. [...] La confirmation de l’acte nul, qui ne peut résulter de la seule exécution des travaux, doit être caractérisée, à défaut d’une confirmation expresse, par leur exécution volontaire en connaissance de la cause du vice l’affectant. ».

Les juges d’appel avaient retenu que la société U. avait exécuté volontairement le contrat de sous-traitance, en connaissance de la cause de nullité du contrat tenant à l’absence de délivrance de la caution. La Cour de cassation considère qu’ils ont à bon droit estimé que le contrat de sous-traitance avait été confirmé. Elle a donc rejeté le pourvoi.

Un changement radical de position. Par cet arrêt, la 3e chambre civile abandonne sa position classique, selon la-quelle le contrat de sous-traitance est nul dès l’origine du fait de l’absence de fourniture d’un cautionnement, peu important que le sous-traitant ait rempli sa mission et reçu l’intégralité des sommes contractuellement dues avant de contester la validité du contrat (Cass. 3e civ., 18 juillet 2001, n° 00-16380).

Le juge de cassation donne écho à la solution admise il y a de cela plus de quarante ans par la chambre commerciale (Cass. com., 19 mai 1980, n° 79-10532 et n° 79-10408 ; voir aussi : Cass. com., 12 février 1991, n° 89-16669, publié au Bulletin). Celle-ci « pose en principe que cette nullité du sous-traité, destinée à sanctionner des règles qui instituent “des garanties complémentaires créées pour la protection des sous-traitants”, est une nullité relative ne pouvant être invoquée que par le sous-traitant et nullement par l’entrepreneur principal ou les créanciers nantis sur le marché, ayants cause de cet entrepreneur ». Elle ajoute que cette nullité peut donc faire l’objet d’une confirmation (3).

La troisième chambre civile s’inspire de l’arrêt de la chambre commerciale de 2020, précédemment évoqué, qui avait retenu que la violation des formalités de l’article 14 est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle le sous-traitant peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l’affectant (Cass. com, 9 septembre 2020, n° 18-19250, précité).

Les moyens pour couvrir la nullité de l’article 14

La décision de la 3e chambre civile, mais aussi et surtout l’ar-rêt de la cour d’appel de Paris, apportent un éclairage intéressant sur le régime de la nullité relative, qui a été remodelé par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats et, plus particulièrement, sur l’article 1182 (nouveau) du Code civil relatif à la confirmation.

Cet article précise les conditions de la confirmation, par la-quelle celui qui peut demander la nullité d’un acte renonce à se prévaloir des vices dont celui-ci est entaché. A défaut d’une confirmation expresse, « l’exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de la nullité, vaut confirmation ».

Il ne suffit donc pas que le contrat ait été exécuté. Il faut encore qu’il ait été exécuté volontairement en connaissance de la cause du vice l’affectant. Il s’agit des deux critères que la cour d’appel de Paris, puis la 3e chambre civile ont mis en œuvre, pour finalement considérer que la société U. avait confirmé le contrat.

Indices de la renonciation. L’arrêt de la Haute juridiction est sibyllin sur la conduite qu’il est possible d’opposer au sous-traitant pour établir une renonciation à la nullité de l’article 14. Mais la décision de la cour d’appel de Paris du 29 juin 2022 détaille les faits dont la renonciation peut se déduire. Le juge d’appel:

  • examine si le contrat de sous-traitance en cause, ou bien les conditions générales ou particulières, mentionnent l’obligation pour l’entrepreneur principal de fournir une caution, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ;
  • retient la qualité de sous-traitant habitué à la loi de 1975 : en l’espèce, la société U. est, ainsi que l’a souligné la cour d’appel, « une entreprise de renommée internationale et professionnelle en matière de construction, qui intervient régulièrement – notamment en sous-traitance – sur de gros chantiers ». En outre, le sous-traitant avait rappelé à son donneur d’ordres l’obligation posée par l’article 14 de la loi dans une lettre recommandée du 24 mai 2017, soit environ deux mois après la conclusion du contrat ;
  • relève l’article 9 des conditions particulières qui, selon la cour, « donne toute sa force à l’exécution du contrat sans ré-serve », en prévoyant que la commande « sera nulle si elle n’a pas été retournée acceptée dans les huit jours de sa réception par le sous-traitant à moins que ce dernier n’ait commencé à exécuter les travaux objet [dudit contrat], auquel cas le commencement d’exécution vaudra acceptation sans réserve par le sous-traitant de la présente commande ».

La nullité de l’article 14 paraît ainsi assez facilement couverte, dès lors que le contrat de sous-traitance est exécuté sans que le sous-traitant ne justifie s’être inquiété de l’absence de caution pour réaliser les travaux.

Le sous-traitant, victime collatérale d’une querelle entre Classiques et Modernes?

La position antérieure de la 3e chambre civile avait le mérite d’accorder le régime jurisprudentiel de la nullité tant avec la lettre de la loi du 31 décembre 1975, dont les dispositions sont d’ordre public en application de son article 15, qu’avec son esprit, dès lors que l’objectif de cette loi est d’assurer une forte protection aux sous-traitants, en particulier contre les aléas économiques pouvant affecter l’entrepreneur principal.

Sauvegarde d’un intérêt particulier. La solution adoptée dans l’arrêt du 23 novembre 2023 s’inscrit dans la logique de l’article 1179 (nouveau) du Code civil, issu de la réforme de 2016, qui a conféré une base législative à la théorie dite « moderne » des nullités. Selon cette théorie, la nullité est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt particulier. La théorie dite « classique » s’attache non à la fonction de la règle mais à la gravité du vice, ce qui conduit le juge à sanctionner d’une nullité absolue les vices atteignant la substance même de l’acte, d’une part, et d’une nullité relative les vices les plus légers, d’autre part. La 3e chambre civile semble avoir renoncé à une protection effective du sous-traitant, en sacrifiant à une interprétation de l’article 14 apparemment plus cohérente à l’égard du nouveau régime des nullités, inauguré par l’ordonnance du 10 février 2016.

Cette solution « moderne » présente l’avantage d’enfermer les débats sur la validité du contrat dans un délai, ici fixé par les conditions particulières, et ne permet plus de brandir la nullité après l’exécution complète du marché, au moment où la discussion sur la détermination du coût final du contrat peut se tendre.

S’il est clair que la nullité de l’article 14 est personnelle, instituée au bénéfice du sous-traitant et non de l’entrepreneur principal, qui ne peut se prévaloir de sa propre défaillance, il n’en demeure pas moins que l’article 15 confère à cette garantie une force qui se trouve largement relativisée par l’arrêt du 23 novembre 2023.

Piste de réforme. Comment, dans ces conditions, redonner de la vigueur à la loi de 1975 ? Sans doute une évolution devrait-elle répondre à la modernisation du régime des nullités.

Il pourrait être envisagé d’amender l’article 14, de sorte que les paiements des sommes dues par l’entrepreneur au sous-traitant soient, à peine de nullité absolue, garantis par une caution. Cela aurait le mérite de la clarté, et de ne pas faire cohabiter l’interdiction forte de l’article 15 avec la permissivité de la déci-sion commentée, au point de produire un doute sérieux quant à l’efficacité de la protection. Le chantier de la réforme du droit des obligations pourrait en être l’occasion. 

(1) « Sous-traitance – Peut-on couvrir la nullité résultant du défaut de garantie ? », par Bruno Richard, Guilhemette Alban, Marie Coussi et Lara Fontaine, « Le Moniteur » du 2 avril 2021. (2) « Sous-traitance – L’indéfectible nullité du contrat résultant du défaut de garantie », par Bruno Richard et Samuel Dufeal, « Le Moniteur » du 21 janvier 2022. (3) D. 1980 p. 443, note Alain Bénabent.

Ce qu’il faut retenir

  • L’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance prévoit que les paiements de toutes les sommes dues par l’entrepreneur au sous-traitant doivent être garantis par une caution personnelle et solidaire, et ce « à peine de nullité du sous-traité.
  • Par un arrêt du 23 novembre 2023, la 3e chambre civile de la Cour de cassation change radicalement sa position classique, selon laquelle le contrat de sous-traitance était nul dès l’origine du fait de l’absence de fourniture d’un cautionnement, peu important que le sous-traitant ait rempli sa mission et reçu l’intégralité des sommes contractuellement dues avant de contester la validité du contrat.
  • Désormais, elle juge que le défaut de caution est sanctionné par une nullité relative, qui est donc susceptible de confirmation par le sous-traitant.
  • Une position qui pose question, dès lors que l’article 15 de la loi de 1975 affirme que « sont nuls et de nul effet, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi ».

Cet article est paru dans Le Moniteur n°6290 du 08 mars 2024 (réservé aux abonnés)

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