En quelques semaines, la Commission a ainsi reconsidéré sur le métier les textes sur la RSE que l'UE avait progressivement conçus et adoptés au cours des cinq dernières années : Taxonomie (classification des activités durables) [1] en 2020, CSRD (reporting de durabilité) [2] en 2022 et CS3D (devoir de vigilance) [3] en 2024.
Si le réajustement de ces règles poursuit l'objectif louable de libérer le potentiel de croissance de l'UE, se pose néanmoins la question de l'avenir de la RSE européenne, dans un contexte de redéfinition globale et soudaine des dispositifs en vigueur.
1. Une réforme en deux temps : reporter l'application des règles pour mieux les modifier
1.1. - Une première proposition de directive [4], dite "Stop the clock", a pour objet, d'une part, de repousser l'application de toutes les obligations de publication d'informations prévues par la CSRD pour les entreprises soumises à ces exigences en 2026 et 2027 (entreprises de vagues 2 et 3) et, d'autre part, de reporter d'un an la date limite de transposition de la directive CS3D (26 juillet 2027) et la première vague d'application de cette même directive (26 juillet 2028).
Une seconde proposition de directive [5], dite "Contenu", vise à modifier la CSRD et la CS3D afin d'en simplifier les règles et réduire leur champ d'application. Le train de mesures "Omnibus" comprend aussi un projet d'acte délégué modifiant l'acte délégué sur les informations à publier en lien avec la taxonomie ainsi que les actes délégués relatifs aux volets climatique et environnemental de la taxonomie, qui fera l'objet d'une consultation publique, une proposition de règlement modifiant le règlement sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières [6], et une proposition de règlement modifiant le règlement InvestUE[7].
1.2. - La réforme est donc conçue en deux temps
Il s'agit d'abord, dans un souci de sécurité juridique, de décaler rapidement les délais de la CSRD et CS3D, par l'adoption de la proposition de directive "Stop the clock". Le 3 avril 2025, le Parlement européen a ainsi validé, après avoir enclenché la procédure d'urgence le 1er avril, les reports de délais proposés par la Commission concernant les directives CSRD et CS3D. Reste maintenant au Conseil européen à confirmer la décision du Parlement, ce qui ne devrait pas soulever de difficulté majeure. Par anticipation, un projet de loi français[8], définitivement adopté par le Sénat le 3 avril, a reporté de deux ans l'entrée en vigueur des exigences de reporting issues de la directive CSRD.
Le Parlement européen devra ensuite se prononcer sur les modifications techniques incluses dans la seconde proposition de directive, dite "Contenu". L'adoption de ce texte ne pourra intervenir qu'à l'issue de longues discussions, sans doute en fin d'année 2026, sans qu'il ne soit possible de déterminer un calendrier plus précis. L'importance des travaux parlementaires à venir, et les incertitudes qui en découlent quant au sort des dispositifs actuellement en place dans le domaine de la RSE, donne tout son sens à l'adoption accélérée de la directive "Stop the clock".
Calendrier d'adoption :
2. Les principales modifications apportées par le paquet "Omnibus"
2.1. - Les propositions de modification dans le domaine de la publication d'informations (CSRD)
Les modifications apportées à la CSRD visent à réduire son champ d'application, de manière à ce qu'elle ne concerne que certaines grandes entreprises, et à alléger la charge que représente les obligations d'informations en matière de durabilité.
Le texte de la Commission propose notamment :
- La réduction du champ d'application : les obligations de publication d'information ne concerneront que les grandes entreprises européennes employant plus de 1.000 salariés, et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 millions d'euros ou dont le total du bilan est supérieur à 25 millions d'euros [9].
- Le plafond de la chaîne de valeur : s'agissant des entreprises qui ne relèveront plus de la CSRD, la Commission adoptera, par un acte délégué, une norme d'information volontaire. Cette norme limitera les informations que les entreprises relevant de la CSRD peuvent exiger des entreprises de leur chaîne de valeur comptant moins de 1.000 salariés.
- La révision des normes ESRS [10] : la Commission révisera ces normes dans le but de réduire le nombre de points de données, d'en clarifier les dispositions et d'en améliorer la cohérence.
- La suppression des normes d'assurance raisonnable : la Commission n'aura plus la possibilité de proposer de passer d'une exigence d'assurance limitée à une exigence d'assurance raisonnable.
2.2. - Les propositions de modification dans le domaine du devoir de vigilance (CS3D)
Selon la même logique, la Commission entend simplifier le dispositif introduit par la directive CS3D, notamment à travers les mesures suivantes :
- L'allégement de l'obligation d'effectuer systématiquement des évaluations approfondies des impacts négatifs dans les chaînes de valeur : les entreprises ne se verront imposer un devoir de vigilance complet au-delà de leurs partenaires commerciaux directs que dans le cas où des informations plausibles suggèrent l'existence ou la possibilité d'un impact négatif.
- La simplification des exigences en matière de devoir de vigilance : l'intervalle entre deux évaluations et mises à jour périodiques sera allongé d'un à cinq ans. Il est aussi proposé de supprimer l'obligation de rompre la relation d'affaires en dernier recours dans l'hypothèse de manquements de la part du partenaire commercial.
- La limitation de "l'effet de ruissellement" : les informations que les entreprises assujetties peuvent demander à leurs partenaires commerciaux, PME et petites entreprises à moyenne capitalisation, seront limitées aux informations précisées dans la norme volontaire de publication d'informations en matière de durabilité de la CSRD.
- Le renvoi aux régimes nationaux de responsabilité civile.
- L'alignement des exigences relatives à l'adoption de plans de transition climatique sur celles de la CSRD.
- L'harmonisation des exigences en matière de diligence raisonnable afin de garantir des conditions de concurrence équitables au sein de l'UE.
- La suppression de la clause de réexamen relative à l'inclusion des services financiers dans le champ d'application de la directive sur le devoir de vigilance.
En définitive, le paquet "Omnibus" ouvre un chantier de grande ampleur, qui devrait susciter de nombreux débats en vue de restaurer la compétitivité de l'UE tout en maintenant l'objectif du Pacte vert de rendre l'Europe neutre sur le plan climatique en 2050. Sur le plan juridique, les incertitudes sont nombreuses, le chemin qui mène à l'adoption définitive des mesures techniques étant encore long. Au fil des débats parlementaires se dessinera le nouveau visage de la RSE européenne, qui reflétera les enjeux économiques et politiques auxquels l'Europe est aujourd'hui confrontée.
L'effet d'annonce qui avait entouré l'adoption de ces textes s'estompe, et tous les efforts faits pour s'adapter à ces priorités sont différés, ce que l'on ne peut que regretter.
1 Rapport de Mario Draghi, "L'avenir de la compétitivité européenne", 9 septembre 2024
2 Règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020
3 Directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022
4 Directive (UE) 2024/1760 du 13 juin 2024
5 COM(2025) 80 final
6 COM(2025) 81 final
7 COM(2025) 87 final
8 COM(2025) 84 final
9 Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes
10 Pour les entreprises non-européennes, le seuil de chiffre d'affaires est relevé à 450 millions d'euros réalisés dans l'UE
11 European Sustainability Reporting Standards