L'affaire est d'importance puisque, comme le souligne la décision de renvoi du Conseil d'Etat du 27 décembre 2024 , se pose la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure le droit de se taire trouve à s'appliquer lors des enquêtes menées par une autorité indépendante (AAI ou API) chargée d'une mission de régulation en vue de recueillir des éléments susceptibles d'être utilisés dans le cadre d'une procédure de sanction engagée ultérieurement.
Six autres autorités de régulation (ARCEP, CNIL, ANJ, ART, CRE, ARCOM) sont intervenues dans cette affaire et ont opiné dans le sens favorable à l'AMF.
La décision du Conseil constitutionnel, annoncée pour le 21 mars 2025, sera donc riche d'enseignements pour l'ensemble des entreprises potentiellement concernées par les procédures de sanction des autorités de régulation et pour les autorités concernées.
L'extension logique du droit de se taire aux autorités de régulation sanctionnatrices
Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il résulte de l'article 9 de la Déclaration de 1789 le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire . Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Elles ne sont donc plus cantonnées à la seule matière pénale, mais s'appliquent également aux procédures de sanction, notamment disciplinaires.Eu égard à cette jurisprudence, l'applicabilité du droit de se taire aux procédures de sanction mises en œuvre par les autorités de régulation n'a pas été contestée.
Il y a donc quelques raisons de penser que l'extension du droit de se taire aux autorités de régulation investies d'un pouvoir de sanction pourrait être considérée par le Conseil constitutionnel comme le prolongement logique de sa jurisprudence précédente rendue en matière disciplinaire.
L'applicabilité du droit de se taire à la phase d'enquête préalable en question
Une fois acquis le constat de l'absence de particularisme des autorités de régulation, reste à déterminer à quel moment l'exigence de notifier le droit de se taire doit s'appliquer. Les observations formulées à l'audience ont essentiellement porté sur la question de l'applicabilité du droit de se taire à la phase d'enquête de l'AMF, préalable à la notification des griefs.Pour l'AMF, il n'y a pas lieu de notifier le droit de se taire aux personnes dont les explications sont demandées puisqu'elles ne sont pas encore formellement poursuivies, et ne le seront d'ailleurs peut-être jamais. A l'inverse, l'ADAP a rappelé que les déclarations recueillies lors de l'enquête resteront présentes au dossier de la procédure, et pourront être utilisées contre les personnes entendues.
La décision du Conseil constitutionnel apportera un éclairage déterminant sur ce point, en complément de la solution qu'il a dégagée le 15 novembre 2024 concernant le référé pénal environnemental , que chaque plaideur a d'ailleurs invoquée à son bénéfice. Elle pourrait aussi provoquer une inflexion ou, au contraire, consolider les distinctions entre phases administrative et répressive que le Conseil d'Etat a commencé à mettre en place en matière disciplinaire .
Quel que soit le sens de la décision, toutes les conséquences devront en être tirées pour la gestion des contentieux devant les autorités de régulation et leurs juridictions de contrôle.
1 Premier alinéa de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier
2 CE, 27 décembre 2024, Association des avocats pénalistes, n° 498210
3 Décision n° 2023-1074 QPC du 9 décembre 2023 ; Décision n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024 ; Décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024
4 Décision n° 2024-1111 QPC du 15 novembre 2024
5 CE, 19 décembre 2024, Ottomani, n° 490157 ; Serre, n° 490952